Témoignage - Octobre rose

1 - Cancer et escroquerie

Il y a quelques années, dans un autre métier… 

Elle a l’air fragile et désespérée. Petite et menue, elle porte un foulard clair par-dessus ses cheveux blonds. 

Elle me raconte son histoire. 

Quelques années plus tôt, elle a été diagnostiquée d’un cancer du sein. Un charlatan lui a promis une guérison miraculeuse, à base de machine et d’une eau « particulière ». Désespérée, fragilisée, elle s’est laissé aller à croire le bonimenteur. 

Ça lui a coûté des milliers d’euros. 

Alors qu’elle entamait une chimiothérapie, elle a fait face à cette perte financière et à cet espoir qui s’envolait à mesure que cette eau miraculeuse s’avérait inutile. 

Comme elle n’était pas la seule victime de cet homme, il a pu y avoir une enquête, un procès, une condamnation. Mais cette dame et restée persuadée de sa bêtise, de sa naïveté. Elle se sentait coupable de s’être laissée berner. Elle a fini par guérir, et tout aurait pu se passer mieux pour elle. 

Mais non.


Quand je la rencontre, elle a appris une terrible nouvelle, quelques jours plus tôt à peine. Le cancer du sein est revenu.

 Elle me raconte. 

Elle sait ce qui l’attends, désormais. La chimio. Et avec elle, la perte de ses cheveux. A cet instant-là, c’est ce qui la marque le plus. Alors, peut-être pour se donner l’illusion de garder un peu de contrôle face à l’incontrôlable, elle s’arrête chez une coiffeuse juste après le rendez-vous qui a de nouveau détruit son monde. 

Elle est très bien accueillie. On s’occupe d’elle, on lui propose différents modèles de perruque. Elle a besoin de se sentir jolie, alors elle se laisse aller : une perruque avec de vrais cheveux, des strass, des paillettes… 

Facture totale : 8000€, et on ne lui laisse pas le temps d’y réfléchir. 

Le lendemain, elle a repris ses esprits et veut rendre la perruque. La coiffeuse refuse. 

Alors elle se retrouve dans mon bureau. Fragile, timide, triste. Une nouvelle fois, elle se sent coupable. Une nouvelle fois, elle ne comprends pas comment elle a pu en arriver là. 

Je la rassure. Lui fais comprendre qu’humainement, la manœuvre de la coiffeuse est inadmissible. Qu’elle n’est pas responsable. Ça la rassure un peu. A peine. 

Après ça, elle va voir le conciliateur de justice. Il prends les choses en main. Quelques semaines plus tard, elle me rappelle, me dit que le conciliateur a réglé le problème, qu’elle a pu rendre la perruque et récupérer son argent.

Les choses se sont arrangées, et elle a pu se concentrer sur sa guérison.

Mais le mal est fait, celui qui fait croire à cette dame qu’elle est responsable de sa propre fragilité, d’avoir voulu trouver un peu de contrôle dans un moment où elle perdait pied.


2 - Cancer et abandon 

Il y a 13 ans, dans un autre métier… 

Je la rencontre quand j’intègre une nouvelle équipe. Elle a la cinquantaine, et elle est pleine d’énergie. Rien ne laisse deviner qu’elle n’est revenu que depuis quelques semaines. 

Elle me raconte qu’elle a eu un cancer du sein. Qu’elle a été très bien suivie, que son traitement et son opération se sont passées aussi bien qu’on peux l’espérer. 

Je suis étonnée d’entendre cette femme que je connais à peine parler de cette période sombre de sa vie avec autant de facilité et d’énergie. Elle n’a pas l’air abîmée par l’épreuve qu’elle a vécu, elle est même heureuse. 

C’est ce jour-là que j’ai découvert une chose terrible : que beaucoup d’hommes abandonnent la femme qu’ils prétendent aimer pendant le traitement. 

Je le sais, parce qu’elle me raconte la chance qu’elle a d’être avec un homme qui l’aime vraiment, un homme qui l’a accompagné, soutenue et comprise durant toute cette terrible période. Une chance que toutes ses camarades de chimio n’ont pas eu. Elle exprime son dégoût pour ceux qui les ont abandonnées, incapables de supporter le poids de la maladie et de tout ce qui va avec. 

Aujourd’hui encore, les chiffres sont sans appel : la moitié des femmes atteinte d’un cancer du sein seront rapidement quittées par leur conjoint. C’est six fois plus de risque d’être abandonnée que pour les hommes.

Il est terriblement triste de se réjouir d’avoir un conjoint présent et empathique. Il est terriblement triste de féliciter ces hommes qui sont simplement aimants et humains.

Parce que cela devrait simplement être la norme.